Les Mauriciens
Construction : 1897
Architecte : John Belcher
(1841-1913)
Inscription ISMH - N° PA62000062
Accès : 21 rue du Général de Gaulle
Wimereux était connue comme la « plage des Anglais ». L’hôtel des Anglais et des bains, la rue des Anglais témoignent encore de leur présence. Il y avait un temple anglican rue St Maurice construit en 1906. Le casino ainsi que le Splendid Hôtel, qui était un palace de 150 chambres, étaient fréquentés essentiellement par la clientèle britannique. « Une bonne partie de la gentry britannique venait passer l’été à Wimereux, des gens comme les Dunhill, par exemple ». Leur histoire coïncidait avec l’avènement de l’automobile à la fin du XIXème siècle. C’est ainsi que, au tournant du siècle, « Le Château Mauricien » (Voir inscription dans le chapiteau au dessus du portillon) fut construit par un architecte Anglais pour un banquier et ambassadeur Anglais, originaire de L’ile Maurice, et qui s'appelait Maurice (!) ce qui donna son nom à la villa.
Il avait également des fonctions diplomatiques en qualité d’Ambassadeur plénipotentiaire de l’ile Maurice à Londres.
C’est en 1895, à l’âge de 34 ans, que Maurice Ulcoq achète les terrains de Wimereux jouxtant la rue des dunes et confie la construction du Château Mauricien à l’architecte John Belcher qu’il aurait rencontré à la loge de l’Institut Royal des Colonies.
Il fut l’un des fondateurs et vice-président du «Boulogne Golf Club» (Le golf de Wimereux). « L’autre vice-président était Félix Adam, membre actif de la Société des courses et futur maire de Boulogne. Ce comité, qui avait à sa tête, le docteur Aigre, se réunissait à l’hôtel des pompiers de Boulogne.
Alors qu’il est au sommet de sa carrière, Maurice Ulcoq, esq. décède en 1912 à l’âge de 51 ans à son domicile, au 51 Millman Street - Holborn - County of London.
Promoteur du mouvement « Art and Kraft » il présida la première assemblée de la « Art workers guild » le 18 janvier 1884.
Il était l’un des architectes les plus influents à Londres à la fin du XIXème siècle et fut à l’origine du mouvement d’architecture « baroque Edwardien».
En 1901, il publie « Later Renaissance Architecture » puis en 1907, « Essentials in architecture » et obtient la même année la médaille d’or du « Royal Institute of British Architects », institut qu’il avait présidé de 1904 à 1906.
Il devient en 1909 membre de l’académie royale d’architecture d’Angleterre. Il fut également membre de sociétés d’architecture en Russie, Belgique, Allemagne et aux Etats-Unis.
Photo : RIBA
Les documents du cadastre ainsi qu’un texte signé de John Belcher et paru dans «The builder» permettent de confirmer l’origine du bâtiment.
Le château Mauricien est le seul projet connu de John Belcher sur le continent.
« Le 21 septembre 1898, il donna, pour quelques invités anglais sélects, une superbe garden-party. Vers 21 heures, on y tira un feu d’artifice complet avec pièces, fusées, feux de Bengale et bouquet final. Ce feu d’artifice était accompagné de projections électriques de grande puissance, raconta un témoin qui ajouta : Tout Wimereux contemplait de la dune ce feu d’artifice qu’il accueillait de ses hourras ou de ses quolibets ».
« Dans les jardins, il y avait une fontaine monumentale de 5 m de haut, ornée de personnages plus grands que nature, chef d’œuvre du sculpteur céramiste, Achille Blot, originaire de Boulogne sur mer. Cette fontaine était remarquable, tant par sa qualité esthétique que par sa prouesse technique en raison des volumes importants ».
Le château Mauricien ne restera pas longtemps à l’usage exclusif de Maurice Ulcoq, sqr. Dès l’année 1904, comme beaucoup de villas et «chalets» de Wimereux, les Mauriciens étaient proposés à la location.
En 1905, le Château est transformé en «Grand hôtel Mauricien». Une colonnade est ajoutée dans l’axe du jardin d’hiver.
Le guide Hachette de 1907 le décrit ainsi :
«Wimereux - Grand Hôtel Mauricien - de tout premier ordre.
Cet hôtel, villa du style anglais le plus fin et le plus pur, offre à ses visiteurs une installation unique comme confortable et princière au point de vue élégance. Entouré de vastes jardins aux fleurs et serres merveilleuses, la vue de mer y est très belle.
Le restaurant est à la carte et à prix fixe. La cuisine très soignée.
Lumière électrique, salles de bains somptueusement aménagées, garage pour autos.
Malgré tous ces avantages, les prix sont modérés".
H. BEAUCARNE. Propriétaire de l’Hôtel de Normandie, à Lille.»
La Première Guerre Mondiale éclate, et Wimereux est aux avant-postes. La petite ville devient une base médicale importante de l’armée britannique avec ses 14 hôpitaux.
Les docteurs Flora Murray et Louisa Garrett Anderson, toutes deux suffragettes, dirigent le tout jeune WHC « Woman’s Hospital Corps ».
En octobre 1914, elles viennent à Boulogne-sur-Mer pour agrandir les capacités hospitalières près du front et entendent parler d’une grosse maison qui serait à louer à Wimereux, le Château Mauricien.
L’hôpital atteindra le maximum de 45 lits. Le « château » sera successivement destiné aux officiers puis aux soins des sœurs malades. Il sera l’un des tous premiers hôpitaux au monde entièrement dirigé et doté de personnel féminin. De nombreuses «sisters» y travailleront et y écriront leur journal. Autant de témoignages qui permettent aujourd’hui de retrouver ce passé si riche et plein d’émotion.
Flora Murray et Louisa Garrett-Anderson quitteront Wimereux début 1915 mais l’hôpital poursuivra son activité jusqu’au début de 1920.
Photo du bloc opératoire dans le jardin d'hiver : Olive Edis - Oct 1919.
« Flora Murray est d’abord médecin à l’Hôpital pour Enfants de Belgrave puis, anesthésiste à l’Hôpital pour femmes de Chelsea. Elle rejoint l’Union sociale et politique des femmes en 1908. Elle y soigne les militantes. Elle prend la parole aux meetings et aux rassemblements, défile dans les manifestations, administre les premiers soins lors de manifestations de suffragettes et s’occupe d’Emmeline Pankhurst et d’autres grévistes de la faim après leur libération de prison.
Elle fait campagne avec d’autres médecins contre le gavage forcé des prisonnières en grève de la faim. »
«Louisa Garrett-Anderson était la fille du docteur Elizabeth Garrett Anderson qui était la première femme médecin d’Angleterre.
Pionnière de la médecine, suffragette, et membre de l’Union politique et sociale des femmes. Elle fut la chirurgienne en chef du Women’s Hospital Corps et membre de la Société royale de médecine.
Le 18 novembre 1910, Anderson s'est jointe à sa mère, Emmeline Pankhurst, Alfred Caldecott, Hertha Ayrton, Mme Elmy, Hilda Brackenbury, la princesse Sophia Duleep Singh et 300 femmes pour adresser une pétition au Premier ministre Asquith pour obtenir le droit de vote.
La manifestation est connue sous le nom de Black Friday, en raison de la violence et de l'agression sexuelle auxquelles les manifestantes ont été confrontées de la part de la police et des passants de sexe masculin.
En 1912, elle fut brièvement emprisonnée à la prison des femmes de Holloway Castle, pour ses activités de suffragette : elle avait jeté une brique dans une fenêtre. Elle a écrit de nombreux articles médicaux et a publié une biographie de sa mère en 1939. »
Comme beaucoup d’infirmières, elle tenait un carnet. Le sien avait comme particularité de contenir des dessins, des poèmes, ou de simples messages laissés par les soldats qu’elle soignait.
Ce dessin représente l’incendie lors de la deuxième bataille d’Ypres, «vue de la tranchée St Eloi» en mai 1915. Probablement lors de la Bataille de Bellewaerde. Le dessin et le poème associé, dédiés à Sister Jones et son sourire, ont été réalisés par un certain G. Gordon Horker (ou Haker ?).
Document de : Mary-Anne Massey (Petite fille de Hannah Bowen Jones)
Pour soutenir le moral des troupes, la Reine Mary (Queen Mary) se rend à Wimereux, accompagnée de M. Emma Maud McCarthy.
Le 4 juillet 1917, elle écrivait : « En route pour l’Hôpital Général no 83 afin d’y rencontrer Sa Majesté la Reine Mary à 11h. Sa Majesté, accompagnée de Lady Airlie, a visité plusieurs salles ainsi que le magasin de Lady Algernon Gordon Lennox, .../... Des visites ont été faites à l’hôpital des officiers, au casino et à l’hôpital des infirmières malades.
Le déjeuner a été servi pour Sa Majesté au château Mauricien, où j’ai été invitée.
Sa Majesté a quitté le château à 15h30...»
L’infirmière Beatrice Hopkinson ajoutait :
« La plupart des salles étaient décorées avec un goût remarquable, certaines avec des fresques au plafond. Une salle, peinte en bleu Wedgwood, était très belle avec une profusion de miroirs et de peintures. C’est dans cette salle que Sa Majesté et sa dame de compagnie ont diné lors de leur voyage en France. »
D’autres grands de ce monde vinrent aux Mauriciens, et notamment Marie Amélie Louise Hélène d’Orléans, plus connue sous le nom d’Amélie d’Orléans, « princesse de France » membre de la maison d’Orléans puis, par son mariage, reine du Portugal.
Elle visita le château Mauricien le 21 décembre 1918 et a parlé à un grand nombre d’infirmières malades ».
Photo : IWM
Ce sont les «Roaring twenties» ou les «années folles». C’est une période de croissance et d’insouciance qui commence et dont l’épilogue est souvent tragiquement associé à la crise de 1929.
Eugène LEROY, l’entrepreneur de la construction, et propriétaire des lieux depuis le décès de Maurice Ulcoq, loue à partir de 1923 le château Mauricien à Georges lrr, demeurant à Neuilly-sur-Seine.
Celui-ci le transforme en dancing et réouvre l’établissement le 5 juillet 1924, pour finalement l’acheter en 1926.
Ce remaniement s’accompagne d’une diminution de la surface de la propriété, dont on peut penser qu’il s’agit soit de la vente d’une partie du jardin comme terrain à bâtir, soit de la séparation entre l’édifice principal (l’actuelle villa) et ses annexes : l’actuel hôtel «Paul et Virginie», «la case Mauricienne», l’écurie et la sellerie.
Lors du rachat de la propriété en 1930 par le roubaisien Stanislas Ruffelet, docteur en droit, la surface est identique à celle d’aujourd’hui.
Cette flottille est dirigée notamment par le « Capitaine de mer » de la Kriegsmarine Rudolf Petersen (au centre sur la photo), croix de fer de 1ere classe en mai 1940, puis chevalier de la croix de fer avec feuilles de chêne en juin 1944.
Dans les années 70, après deux guerres, la crise de 1929, et nombre d’années, la villa est bien mal en point et de nombreux éléments de son architecture ont disparu.
Ce sont les descendant (es) des « Sisters » qui amenèrent leurs albums de photos de famille, les archives du IWM (Imperial War Museum), celles des familles qui se sont succédées dans la maison, des historiens de Wimereux (Ils se reconnaitront), des cartes postales, ou photos anciennes retrouvées sur Ebay, qui apportèrent un fond iconographique d’environ 150 documents.
C’est sur cette base que l’histoire a été retrouvée, et ainsi les centaines de détails qui permirent de restituer la villa à l’identique.
Cette première protection jouera un rôle important pour Wimereux même.
En effet la station balnéaire ne bénéficiait alors d’aucune protection et c’est donc le périmètre MH (Monument historique) de 500 m des Mauriciens qui joua ce rôle pendant presque 20 ans.
Après 4 années de recherches documentaires, la rénovation peut enfin reprendre.
Trois ans plus tard, le SPR (Site patrimonial Remarquable) de Wimereux était enfin approuvé.